Qu’est-ce qu’Emile, ou De l’éducation, que Rousseau considérait comme son livre ‘le plus important’? Traité d’éducation, discours philosophique, récit hypothético-romanesque, Emile pose, par la formidable complexité de ses traits génériques multiples et de ses stratégies rhétoriques, de redoutable difficultés de lecture.
Cette étude explore les aspects, fonctions et implications des figures du ‘je’ dans Emile: paradoxalement, le traité pédagogique et philosophique discursif tire d’un ‘je’ polyvalent fictif – auteur, narrateur, Gouverneur – sa légitimité et son autorité, et c’est de lui que naissent l’énergie et la beauté, la douleur et la violence de ce livre ‘triste et sublime’.
Il s’agit de remettre au premier plan sa texture si particulière, la complexité de ses traits formels (discursifs et narratifs), l’étrangeté de ses figures (feintes, façons, personae). On trouvera dans cette étude une série d’analyses qui, comme autant de coups de sonde, traitent chacune un aspect de la nature fictive du traité: l’appartenance générique déchirée; le système d’énonciation troublé; les modes incompatibles de l’exemplarité; le statut textuel incertain du ‘héros’ Emile; la question de la femme; la complexité des temporalités croisées; le rapport de l’histoire d’Emile avec l’Histoire; la problématique de l’imitation autour de la figure de Télémaque; les mécanismes de la vicariance dans la ‘Profession de foi’; et, finalement, une réflexion sur la nécessité de lire Emile pour ce qu’il est surtout: une grande œuvre littéraire.