Christiane Mervaud, 'Bestiaires de Voltaire'
Pourquoi s'intéresser à la présence des bêtes dans l'œuvre de Voltaire? Le nombre d'occurrences relatives au règne animal ne peut laisser indifférent. Sans négliger l'apport de la biographie, la recherche s'est efforcée d'abord de déterminer comment la philosophie de Voltaire réagit à l'épreuve de l'animalité, ce qui a conduit à souligner son rejet de la théorie cartésienne de l'animal-machine, son intérêt pour les singularités de la nature. Mais si Voltaire se tient au courant des développements des sciences naturelles, il s'intéresse surtout, en historien, au statut de l'animal dans les sociétés et à son rôle dans les mythologies. Les bêtes servent d'observatoire privilégié pour juger de la marche de l'esprit humain. La typologie zoologique dépend d'une typologie textuelle. Alors que la ménagerie du polémiste exploite sans vergogne préjugés et clichés, dans les bestiaires fabuleux et religieux se déploie une activité ludique et désacralisante. Le bestiaire amoureux se permet des variations sur le thème de la bestialité, dans une atmosphère irréelle ou surréelle. L'animal est, à bien des titres, un révélateur de la pensée de Voltaire, une pierre de touche de sa philosophie, un condensé de recherches historico-religieuses, un déclic pour la création littéraire, un champ ouvert à sa réflexion et à sa fantaisie.
Frédéric Deloffre, 'Genèse de Candide: étude de la création des personnages et de l'élaboration du roman'
La présente étude ne considère pas Candide comme une œuvre philosophique, mais comme un roman. Voltaire a toujours professé que l'magination ne crée pas, mais ne fait qu'arranger ce que lui fournit la mémoire; nous avons donc recherché quels événements personnels lui avaient fourni le schéma de son histoire, quels personnages rencontrés lui avaient inspiré ses héros. Nous n'avons retenu comme significatives que les données qui se rattachent à des ensembles, parmi lesquels nous avons privilégié celui qui s'organise autour du lieu fondateur, Thunder-ten-Tronckh, transposition satirique du château de Bückeburg. C'est là que Voltaire a rencontré Henri Le Maître, chapelain du lieu, dont il fera Pangloss, et Mme Bentinck, la 'franche westphalienne' qui prêtera des traits à Cunégonde; c'est là aussi que fut évoqué Frédéric II, qui passera dans le second chapitre du roman sous le nom du 'roi de Bulgares'. Ce 'fonds mémoriel' de Bückeburg/Thunder-ten-tronckh fournit la matière des quatre premiers chapitres, consacrés respectivement aux conversations de Bückeburg, à Pangloss, à Cunégonde, et aux relations entre 'Candide et le roi des Bulgares'. Le chapitre 5 étudie le processus par lequel le jeu de rôles entre Voltaire et Mme Bentinck finit par rejoindre à la fois le roman et la réalité. C'est un nouvel aspect du romancier qui se profile ainsi derrière le philosophe.