Dans son Discours historique, l'Armenien Lewond raconte comment
"Muhammad et ses successeurs conquirent non seulement l'Armenie, mais
l'univers". Posant l'expansion de l'islam comme un phenomene universel,
l'auteur relate le sort de son pays, depuis la mort de Muhammad et celle
d'Heraclius (641), jusqu'en 789. Selon lui, les Arabes ont poursuivi des
le debut le dessein de destructurer la societe armenienne, d'exploiter
le territoire et les populations soumises, en creant un contexte
defavorable a la vie chretienne. Il apporte ainsi des informations
uniques sur l'Armenie, tout en exposant ses propres points de vue sur
les califes, les conquetes, les guerres civiles ou le passage des
Omeyyades aux Abbassides.
Effectuee sur un texte critique etabli par
Alexan Hakobian, qui respecte les divisions de chapitres et les titres
les plus anciens, la traduction a ete conjointement elaboree par
Jean-Pierre Mahe et Bernadette Martin-Hisard. Cette derniere est la
principale responsable des annotations a caractere historique qui
accompagnent la traduction, ainsi que des pages qui lui font suite,
consacrees a l'oeuvre de Lewond, sa date et son dessein. Bien des
donnees du texte plaident en faveur de la datation, recemment contestee,
a la fin du VIIIe siecle.
L'auteur ne s'efforce pas seulement de
relater les changements imposes a son pays par l'arrivee des Arabes; il
presente aussi sa chronique comme l'Enseignement spirituel qu'on peut
attendre d'un theologien s'adressant a des fideles, desorientes par des
evenements sans precedent. Au-dela de son interpretation biblique,
Lewond, sensible au sort de la population, est un des premiers auteurs
armeniens a s'interroger sur la guerre et sur la domination califale:
faut-il se revolter, se soumettre ou temporiser? On ne saurait dire avec
certitude si son opinion est celle de certains milieux aristocratiques
ou des autorites de l'Eglise, ce qui est le plus probable. Son oeuvre
invite aussi a reconsiderer les relations entre monde armenien et monde
byzantin au VIIIe siecle.
En annexe on trouvera une Correspondance
apocryphe d'Omar II et de Leon III, inseree ulterieurement dans le
Discours historique de Lewond. La version armenienne de ce debat
theologique entre le christianisme et l'islam est presentee, traduite et
annotee par Jean-Pierre Mahe, qui a confronte l'armenien a la redaction
arabe de la Lettre d'Omar (IXe-Xe s.).