Au nom de Sa Majesté est un livre irrévérencieux, qui se joue gentiment des genres et des registres, avec pour seul gouvernail, l'écriture. «Il existe des îles dans l'île : l'île de son métier, l'île de sa solitude, l'île de son mariage, l'île de son âge.»
Malade du monde, rétif à autrui et se défiant de tous les autres, Laurent Graff se soigne à fortes doses d'insuline. L'insuline étant, je n'apprends rien à personne, une tendance prononcée à l'exil insulaire, à l'insularisation forcenée : le «je» se fait île, l'il s'isole, se désempoisse du commun, se barde de solitude, s'encapsule, devient un électron libre de toute attache. Opération délicate vu la fragilité de votre bulle offerte à toutes les crevaisons. D'où le choix d'une île loin de tout, une vraie, petite et bien bretonne, rongée des flots et battue comme plâtre par les vents, avec de vrais morceaux d'îliens en surface.
Seul, en location estivale, Graff nous fait les honneurs du lieu, d'abord à coups d'haïku minéraux, copeaux de mots qui donnent du lieu une vision éclatée, kaléidoscopique. On entre ensuite dans le vif du sujet : un mémorable conseil municipal improvisé réuni chez Graff à la suite d'une rumeur récurrente, le possible tournage du prochain James Bond. Et Graff de nous offrir même, en exclusivité, un fragment de scénario hallucinant. Mais arrive le temps où il faut rentrer, sur le continent et dans le jeu, consentir à se désinsulariser. Retour sur soi pour finir, bilan sur seize ans d'écriture, l' «il mystérieux» de Laurent Graff dissipe la brume, ébauche ses contours.