Dans les années 1760, l’atelier du baron d’Holbach est, avec Ferney au temps de Voltaire, le principal lieu de diffusion des idées hétérodoxes qui permettent la radicalisation des Lumières en France. L’activité de traduction d’Holbach, plus importante en quantité que son activité d’auteur, est étudiée ici pour la première fois de manière systématique.
En comparant les ouvrages clandestins traduits et publiés par Holbach avec leurs vrais ou prétendus originaux (majoritairement anglais), Mladen Kozul analyse les manipulations énonciatives, thématiques et éditoriales qu’Holbach opère dans les textes anglais pour en légitimer le discours et les transformer en livres clandestins français. Il montre qu’Holbach, fidèle aux procédés d’une culture rhétorique qui brasse et recycle textes et discours, s’appuie sur les stratégies des encyclopédistes qu’il perfectionne en employant les méthodes de la librairie clandestine.
Les textes traduits par Holbach orientent d’une manière décisive la perception qu’a le public des correspondances entre les idées des Lumières en France et celles provenant d’autres cultures de l’Europe occidentale, et notamment d’Angleterre. Les figures d’auteurs anglais qui se dégagent du livre clandestin apparaissent comme des constructions qui installent, aux yeux du lecteur français, le mirage d’un front philosophique transculturel radical, uni et solidaire. Les pratiques du baron nous permettent ainsi d’interroger le rapport complexe du public cultivé des Lumières à l’altérité culturelle. En repensant les notions de traduction et d’auteur, Mladen Kozul invite à voir en Holbach l’inventeur d’une des premières manipulations médiatiques d’envergure en Occident.