Depuis la fin du 18e siecle, les philologues, puis les linguistes,
notamment allemands tout au long du 19e siecle, ont parcouru la
genealogie de toutes les langues des familles indo-europeenne et
semitique. Dans le meme temps, l'orientation "naturaliste" de la
linguistique propagee par August Schleicher a ete rejetee par la plupart
de ses pairs, notamment Breal et Saussure. A partir des annees 1950 les
linguistes genealogistes ont teste des methodes de regroupement par
familles et superfamilles applicables aux langues sans tradition ecrite
avec la lexicostatistique, la glottochronologie, la comparaison
multilaterale et leurs developpements informatiques recents. Quant a
l'exploration genetique du langage, elle a disparu de l'agenda des
linguistes pendant un siecle entier avant de se renouveler a partir de
1990.
L'objectif central de cet ouvrage est de chercher le "lien
manquant" entre la genealogie des langues et la genetique du langage
comme faculte universelle de l'espece humaine. La version de la theorie
de la grammaticalisation developpee par l'africaniste et typologue
allemand Bernd Heine peut fournir une connexion entre les deux
approches, car elle vise a degager un catalogue d'universaux cognitifs
lexicalises dans toutes les langues et qui sont a la source de mots
grammaticaux et de morphemes derivationnels et flexionnels qui
permettent de s'imaginer la genese de la grammaire generale et des
grammaires particulieres.
S'adressant aux linguistes, l'ouvrage
documente abondamment les travaux de chercheurs d'autres disciplines
(psychologues et anthropologues evolutionnistes, archeologues
prehistoriens, epistemologues) desireux de fournir des "preuves
indirectes" de l'emergence d'un protolangage lexical, puis d'un langage
grammaticalise. Au contact de ces chercheurs, une nouvelle discipline
est apparue, la "linguistique evolutionnaire", qui cherche a evaluer la
plausibilite de ces preuves indirectes.