L'essor des intelligences artificielles reactualise une prophetie lancinante : avec le remplacement des etres humains par les machines, le travail serait appele a disparaitre. Si certains s'en alarment, d'autres voient dans la " disruption numerique " une promesse d'emancipation fondee sur la participation, l'ouverture et le partage.
Les coulisses de ce theatre de marionnettes (sans fils) donnent cependant a voir un tout autre spectacle. Celui des usagers qui alimentent gratuitement les reseaux sociaux de donnees personnelles et de contenus creatifs monnayes par les geants du Web. Celui des prestataires des start-ups de l'economie collaborative, dont le quotidien connecte consiste moins a conduire des vehicules ou a assister des personnes qu'a produire des flux d'informations sur leur smartphone. Celui des microtravailleurs rives a leurs ecrans qui, a domicile ou depuis des " fermes a clic ", propulsent la viralite des marques, filtrent les images pornographiques et violentes ou saisissent a la chaine des fragments de textes pour faire fonctionner des logiciels de traduction automatique.
En dissipant l'illusion de l'automation intelligente, Antonio Casilli fait apparaitre la realite du digital labor : l'exploitation des petites mains de l'intelligence " artificielle ", ces myriades de tacherons du clic soumis au management algorithmique de plateformes en passe de reconfigurer et de precariser le travail humain.
Antonio A. Casilli; est sociologue, enseignant-chercheur a Telecom ParisTech et chercheur associe au LACI-IIAC de l'EHESS. Il a notamment publie Les Liaisons numeriques; (Seuil, 2010) et, avec Dominique Cardon, Qu'est-ce que le digital labor ?; (INA, 2015)Postface de Dominique Meda;;