La diffusion d'une pensée s'accompagne souvent de son édulcoration. Les
«grandes idées» identifiées sont rabâchées, ressassées, réduites, donnant
lieu à des associations aussi rapides que funestes, telle celle qui fait
d'Emmanuel Levinas «le philosophe de l'autre». La réflexion bouleversante
du philosophe qui fit de l'éthique la philosophie première menaçait ainsi
de tourner au prêchi-prêcha quasi-johannique.
L'année du
centenaire, 2006, sollicitant les chercheurs d'horizons multiples, a
permis de faire résonner nombre d'aspects encore méconnus de l'oeuvre
lévinassienne, nourrie de quatre cultures, - la juive, la russe,
l'allemande et la française -, mais aussi des divers apprentissages
existentiels et scientifiques du philosophe. L'histoire, la sienne propre,
celle de son peuple, les rencontres d'affinités ou de devoir, se reflètent
dans des livres entiers ou des passages de son oeuvre, stimulant ses
lecteurs, venus de la littérature, de la philosophie, et des sciences de
l'homme, d'Europe occidentale et orientale, d'outre Atlantique, des rives
de la Méditerranée et du Pacifique.
Ainsi ce volume
précise-t-il de quoi sont faits les liens de Levinas avec la poésie et les
poètes, - Blanchot, Celan, Jabès -, avec le roman russe, Pouchkine,
Tolstoï, Gogol... Il nous découvre un Levinas anthropologue, selon qu'il
développe une construction spécifique, non réciproque, du don, ou qu'il
cherche encore l'évasion hors du face à face amoureux dans la fécondité.
Il creuse la dimension politique de l'¿uvre dans la confrontation avec les
oeuvre de ces autres héritiers de Heidegger que sont Leo Strauss, Hannah
Arendt, Tischner... Il approfondit aussi la qualité particulière du
judaïsme du philosophe qui n'était peut-être pas aussi «Litvak», aussi
rationaliste que le pensait son ami Scholem. Ainsi, au fil de ces
expériences de tous bords et des textes qu'elles engendrent, le visage de
Levinas se dessine-t-il autrement.