Paul Valery pretendait qu'il fallait avoir perdu la raison pour essayer de definir le romantisme. Un tel constat ne releve pas de la seule ironie. A l'examen, toutes les etudes portant sur le romantisme francais ont ete confrontees a un probleme qui revient comme un leitmotiv, celui de la definition de l'objet meme de la recherche: le mot "romantisme" est un vocable aux definitions fluctuantes, lie a une periode historique aux limites tout aussi imprecises. Quant aux declarations des interesses eux-memes -- lesdits ecrivains "romantiques" --, elles ne s'accordent guere et apparaissent parfois tout a fait contradictoires.Peut-on toutefois degager d'eventuelles lignes de force, une structure latente voire un air de famille dans le chaos apparent de la production litteraire de l'epoque? Le present ouvrage en fait le pari. Le debut du XIXe siecle se caracterise, en France, par la convergence d'une remise a l'honneur de Platon et d'un mode de pensee "platonicien", qui se rencontre a des degres divers chez tous les ecrivains.
Le romantisme peut se laisser apprehender comme un dialogue critique, souvent polemique, etabli entre la litterature et l'inspiration platonicienne, acceptee completement ou avec des nuances par certains, fermement rejetee par d'autres. Ainsi, a partir des critiques adressees aux doctrines derivees des ecrits du philosophe grec, va s'elaborer une variante moderne, laicisee, du platonisme. De cette modernite litteraire, les oeuvres de Chateaubriand, de Stendahl, de Balzac marqueront l'avenement; Nerval, Baudelaire et Flaubert en porteront un temps le flambeau; et elle traversera tout le XIXe siecle pour venir se fondre dans l'oeuvre de Proust et trouver, au coeur de la Recherche du temps perdu, son expression definitive.