"Il y avait l'odeur des brochettes, les gars des tables Coca-Cola qui la sifflaient : t'es belle petite, le bruit sur le terrain d'en face avec les chants du Raja, l'équipe de foot de Casa ; il y avait le vent frais de janvier, le tintement des canettes qui s'entrechoquaient, les insultes, les crachats ; et il y avait Driss, là, sur le côté. Elle le voyait, géant sur ses jambes courtes, une main tranquille sur l'épaule du flic, et l'autre fouillant sa poche pour lui glisser un petit billet de cent, sa bouche lançant quelques blagues entendues, un clin d'oeil de temps en temps ; et le flic en face souriait, attrapait le billet, donnait à Driss une tape dans le dos, allez, prends une merguez, Sidi, ça me fait plaisir.
Driss, le géant au milieu des pauvres, Driss le géant qu'elle venait d'embrasser, pensait Sarah ; avec son fric, il n'y aurait plus jamais de flic, plus jamais de lois - ce serait eux deux, la loi". Années 90, Casablanca. Sarah n'a rien et à la sortie du lycée, elle rencontre Driss, qui a tout ; elle décide de le séduire, elle veut l'épouser. Sa course vers lui, c'est un chemin à travers Casa et ses tensions : les riches qui prennent toute la place, les joints fumés au bord de leurs piscines, les prostituées qui avortent dans des arrière-boutiques, les murmures faussement scandalisés, les petites bonnes harcelées, et l'envie d'aller ailleurs.
Mais ailleurs, c'est loin.