S’il est désormais établi que le legs textuel des rencontres coloniales en révèle autant sur les observateurs que sur ce qu’ils observent, le passage de l’acte d’observation à l’acte d’écriture et le devenir des documents produits n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritent. C’est ce que proposent les auteurs des neuf études composant cet ouvrage, qui reviennent aux sources archivistiques du discours colonial: les inscriptions d’expression française sur l’Amérique, entre le milieu du XVIIe siècle et la fin du XVIIIe.
Cette période peut être considérée comme un laboratoire des représentations françaises de l’Amérique, au moment où s’accélère le projet de découverte et de domination politique et symbolique de la Nouvelle-France, puis des Antilles. Dans les contradictions des textes, dans les brèches du récit colonial, se met progressivement en place un système de représentation plus mouvant et évolutif que le savoir dominé par les volontés institutionnelles, normatives, communautaires. Les auteurs analysent ici les contingences et les imprévus de l’expérience américaine des colonisateurs et de l’écriture de l’Amérique dans ses différentes inscriptions: écrits, cartes, gravures. En étudiant les divers accidents liés au déplacement des textes (pertes, formatage, réécriture, réception), les auteurs montrent comment la sphère de la circulation devient lieu de création du savoir.
L’inscription de l’observation consiste à transcrire mais surtout à transformer l’expérience existentielle américaine des observateurs en un événement exemplaire. Elle contribue à constituer une mémoire et un savoir qui prétendent retenir la réalité vécue et la transmettre à des publics différents. Les auteurs de ce volume envisagent ainsi l’inscription comme un phénomène d’intégration. Comment l’Amérique devient-elle partie du monde connu des Européens? Et, réciproquement, comment l’assimilation de l’Amérique redessine-t-elle les contours de la conscience de soi des observateurs européens? Tels sont les enjeux de ce livre, qui renouvelle l’approche du discours colonial sur l’Amérique au XVIIIe siècle.