La figure de Bodhidharma, le mythique fondateur du bouddhisme Chan (Zen), n'a cessé d'être inventée et réinventée à travers toute l'Asie orientale, de l'époque médiévale à nos jours. Prenant pour point de départ un moment bien précis de cette histoire, la Chine de la fin des Ming, l'ouvrage évoque les premières hagiographies en langue vulgaire consacrées au religieux, avant d'analyser un roman fleuve publié à Suzhou en 1635 et intitulé « La Conversion de l'Orient ». Cette pérégrination vers l'est du patriarche indien dépeint un Bodhidharma qui, loin d'incarner la radicalité religieuse souvent prêtée au Chan, se fait le héraut des valeurs confucéennes les plus conformistes. Le saint bonze devient, au fil de ce récit, le pivot autour duquel gravitent humains égarés, démons tentateurs, esprits animaux, maîtres de pratiques religieuses et quêteurs de perfection.
Le bouddhisme, bien que relativisé par sa mise en perspective comme un des « Trois enseignements » (bouddhisme, taoïsme, confucianisme) occupe néanmoins une place centrale dans le roman : les techniques de méditation propagées par le Chan, le respect bouddhique de la vie animale et sa conséquence diététique, le végétarisme, y occupent une place de choix qui montre la profonde pénétration de ces thèmes et pratiques dans la société chinoise du temps.
La « Conversion de l'Orient », au carrefour de la littérature didactique et du genre alors en vogue du roman en langue vulgaire, s'emploie à concilier les besoins de l'édification et ceux de la composition d'un récit fantastique de longue haleine. L'identification de ses sources et influences et la reconstitution détaillée de son histoire éditoriale permettent de mieux comprendre le statut social, culturel et religieux de l'écriture narrative en Chine à la veille des temps modernes.
On trouvera en annexe la traduction d'un large extrait de l'¿uvre originale.