Des Lumières au Romantisme, la conception aristotélicienne de la poésie épique a fait place à une nouvelle vision de l’épopée comme chant primitif d’une nation, dans une période où une nouvelle appréhension de la société, de son histoire et de son rapport à la divinité se met en place. C’est sur les interrelations complexes entre révolution poétique et révolution politique que porte ce livre.
La prise en charge par la fiction épique d’un discours sur l’Histoire entre 1723 et 1815 a engagé trois grands débats. Dans le second quart du dix-huitième siècle, La Henriade, une des œuvres majeures de Voltaire, a marqué une rupture fondamentale par rapport à l’épopée du Grand Siècle. En s’opposant à une approche rhétorique de la poésie épique, Voltaire a ouvert de nouvelles perspectives à la poésie narrative. Dès 1752, les épopées de la découverte du Nouveau Monde ouvrent l’horizon poétique au devenir de l’humanité dans une vision qu’a théorisée Marmontel; la poésie épique s’installe au cœur du débat politique, ainsi que l’ont montré, un peu plus tard, les poèmes sur la Révolution. A la même période une nouvelle appréhension du poème épique s’affirme: il est vu comme un chant populaire et oral né dans les temps primitifs de la nation; forgées pour démontrer cette idée, les poésies d’Ossian en ont donné une illustration ambiguë. Dans un troisième temps, face à des poètes qui recourent à des modèles éprouvés pour célébrer les victoires de Napoléon, Mme de Staël et Chateaubriand, dans un discours d’opposition, essaient de penser l’épopée moderne, à savoir un poème où mettre en scène leurs conceptions respectives de la Liberté.
L’épopée, dans ce tournant fondamental de la pensée française, apparaît comme l’un des lieux privilégiés où penser la place de la fiction et de la poésie dans la société.